Lost in translation : Info film en 20 langues
Client
Conseil suisse pour les réfugiés SFH
Produit
Film
Production
Histoire SFH, Hynek Bures
Direction Hynek Bures
Caméra et montage Alexandre Favarger
Assistant caméra Caroline Wagschal
Acteur Awara Khdir
Graphiques et animations Ehud Graf
Enregistrement de la voix Namrata Pamnani
Musique René Worni
Langues Albanais, arabe, dari, anglais, farsi, français, géorgien, allemand, kurmanji, mandingue, oromo, peul, russe, somali, sorani, tamoul, tibétain, kham-tibétain, tigrinya, turc.
Longueur 18 minutes
2019
Dans le monde, plus de 70 millions de personnes fuient les persécutions, l'oppression et les menaces qui pèsent sur leur vie et leur intégrité physique. Seule une petite partie d'entre elles atteint l'Europe. Pour ceux dont le voyage se termine en Suisse, le flou de la procédure d'asile commence. L'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) - une organisation à but non lucratif indépendante sur le plan politique et confessionnel - accompagne les demandeurs d'asile dans la jungle du système juridique suisse. Ce fut pour nous un honneur particulier de produire un outil audiovisuel qui aide les demandeurs d'asile à comprendre la procédure d'asile suisse.
Nous avons utilisé un style cinématographique semblable à celui d'un long métrage pour transmettre l'information d'une manière calme et belle. Le film raconte l'histoire d'un réfugié nouvellement arrivé qui passe par la procédure d'asile. Le film est une fiction qui dépeint la procédure d'asile idéale. Une voix off suit notre personnage principal et explique au public (les demandeurs d'asile) les différentes étapes qui les attendent. Le film a été produit en 20 versions linguistiques différentes !
Ce projet a été un beau défi. Mais avant de vous raconter quelques anecdotes, regardez cette bande-annonce (pour l'instant, le film complet n'est disponible qu'à l'intérieur des centres d'asile suisses) :
Tournage à l'intérieur du centre d'asile
Pendant 5 jours, nous avons été autorisés à filmer dans le centre d'asile de la Morillonstrasse à Berne, accompagnés d'un regard critique et curieux des habitants et du personnel de sécurité. C'est un laps de temps assez court pour un film de 18 minutes. Préparer chaque plan à l'avance nous a permis de respecter le calendrier.
Pour nous, l'équipe du film, l'atmosphère était plutôt inhabituelle. Mais pour notre acteur principal, Awara Khdir, qui s'est magnifiquement comporté devant la caméra, la situation était très familière. Après l'assassinat de son père par des djihadistes et d'autres menaces pesant sur la famille, celle-ci a fui l'Irak. Son histoire a donné plus de profondeur à la production : devant la caméra, il a utilisé sa propre histoire pour répondre aux questions des employés fictifs du Secrétariat d'État aux migrations. Son parcours a aidé les autres personnages à rester dans leur rôle. Awara est l'exemple d'un processus d'immigration qui s'est bien déroulé : c'est un traducteur professionnel qui ambitionne de devenir acteur professionnel.

Nous avons entendu dire que certains membres du personnel de sécurité envisageaient une carrière d'acteur après s'être vus dans notre film. Je suis sûr que cela est dû à l'excellent travail de notre caméraman Alex Favarger et de son bras droit Caroline Wagschal, qui étaient constamment à la recherche du meilleur angle de prise de vue et d'un éclairage parfait.

Récupérer les voix - Ou : Saviez-vous qu'on lit Nietzsche en Somalie ?
Un film d'information doit être bien compris par le public cible. Il a donc fallu enregistrer pas moins de 20 langues différentes pour les réfugiés arrivant en Suisse du monde entier : Dari, Farsi, Tibétain, Mandinka, Sorani, Somali, Kurmanji, Géorgien, Tigrinya... pour n'en citer que quelques-unes.
J'ai tenu à travailler avec des personnes issues de l'immigration. C'était important pour moi. Je voulais montrer à quel point la Suisse est riche d'avoir accepté ces personnes comme citoyens. D'un point de vue pratique, il est impossible de trouver des voix professionnelles en Suisse pour toutes ces langues. Et j'aime travailler avec des gens qui sont présents dans le studio.
Mais comment les trouver ? Pour trouver nos voix, nous avons dû utiliser toutes les connexions possibles - des amis travaillant dans des centres d'asile, la boutique tibétaine au coin de la rue, les forums Facebook. Des myriades d'appels téléphoniques, de messages et de rencontres personnelles ont permis de réduire notre liste à ceux qui possèdent un talent naturel derrière le micro.
Parfois, les personnes qui entrent dans le studio d'enregistrement de Radio Vostok à Genève nous confrontent à nos propres préjugés. Après avoir enregistré la voix somalienne, Said, 20 ans, a voulu connaître les meilleures librairies de la ville. C'était la première fois qu'il venait à Genève et il voulait en profiter au maximum : Trouver une librairie qui vend des écrits de Nietzsche traduits en anglais. "Vous voulez dire : Friedrich Nietzsche, le philosophe allemand ?" ai-je demandé. "Oui, bien sûr ! Je l'adore ! Mais il était difficile de se procurer ses livres en Somalie."Il m'a répondu et a commencé à m'envoyer des citations de "Human, All too Human". J'étais perplexe.
Ahmad Rayan, une autre voix masculine incroyable et un fan de death metal, a fui la Syrie en 2014. Il est un grand peintre et artiste multimédia et termine actuellement son Master en Beaux-Arts à l'Université des Arts de Berne.

Un navire appelé TRANSFERO
Enfin, lorsque tous nos orateurs ont trouvé le chemin de notre studio à Genève, nous avons été confrontés à une série de difficultés imprévues : Cette femme tibétaine marmonne-t-elle et avale-t-elle des voyelles - ou cette langue sonne-t-elle vraiment comme cela ? Pourquoi cette phrase en kurmanji est-elle soudain trois fois plus longue que la phrase anglaise ? Que faire lorsque vos interlocuteurs vous disent que le texte traduit n'a aucun sens pour eux ? Comment vérifier les langues qui n'ont pas de grammaire écrite ? Et comment traduire des mots désignant des choses qui n'existent même pas dans d'autres pays, comme "..." ?Le droit à l'égalité des chances" ?
Ce processus difficile nous a permis d'apprendre que la complexité de l'acte de traduction ne peut être surestimée. Nous oublions souvent qu'une langue n'est pas seulement une collection de mots et de règles de grammaire et de syntaxe pour générer des phrases, mais aussi un vaste système interconnecté de connotations et de références culturelles. Nos habitudes de langage et d'élocution déterminent nos perceptions, nos mots et nos visions du monde sont profondément liés.

"Übersetzen ist das falsche Wort für eine Sache, die es nicht gibt"comme l'a déclaré Oskar Pastior, poète et traducteur rom allemand. Une traduction au sens large du terme translatio (qui provient de trans “à travers” + ferre “transporter" ou "pour apporter") est le processus de transfert ou de transport d'une chose à une autre ; c'est un ferry qui va d'une rive à l'autre, sans jamais savoir s'il atteindra son but.
Quoi qu'il en soit : Nous espérons que notre film aidera les gens à arriver et à s'orienter dans la procédure d'asile de notre pays. Ils peuvent regarder le film sur de grands écrans tactiles dans les centres d'asile où ils sont hébergés et où ils attendent le résultat final de leur demande.
La meilleure équipe de tous les temps : (en haut) Awara Khdir, Alexandre Favarger, (en bas) Caroline Wagschal, Tanja Schwarz, Hynek Bures
